lundi 20 juin 2011

LES PETITS LÉOPARDS DEVIENNENT DE GRANDS LÉOPARDS Fable de la jungle Paul White

LES PETITS LÉOPARDS DEVIENNENT DE GRANDS LÉOPARDS 
Source :Fables de la jungle par Docteur Paul White Ligue de la lecture de la bible 1957




PEREMBI le chasseur marchait, silencieux, à travers la jungle.         .
Le vent lui soufflait au visage. Dans sa main droite, un arc, sur son dos, un carquois de flèches, suspendu à son côté, un couteau de chasse, serrée dans sa main gauche, une lance de chasse plus aiguisée que le fer le plus aiguisé. Sans bruit, il allait contre le vent, son regard fouillant chaque ombre, chaque taillis. Il se mouvait parmi d'épais buissons d'épines.
Soudain il s'arrêta.
Rapide, il ajusta une flèche à son arc, puis le détendit, et cracha de dégoût. C'était un zèbre qui passait, animal de piètre profit pour un chasseur! La chair du zèbre, en outre, n'est-elle pas une insulte à l'estomac?
Le but de Perembi consistait à découvrir et à tuer Chewi le léopard, dont la peau, sur la place du marché, avait plus de valeur que de nombreuses vaches.
Il alla de l'avant. Autour de lui, le buisson d'épines laissait apparaître des taches, des bigarrures et des raies de lumière. Le regard de Perembi se fit aussi aigu que la pointe de sa lance, car Chewi le léopard sait se dissimuler à l'arrière, et ne se faire voir que lorsque ses dents cruelles, et ses griffes plus cruelles encore, ont causé de terribles dégâts.
Perembi, qui entrait sous le couvert d'un arbre, se glaça soudain en une muette immobilité. Il venait de surprendre un mouvement.
Attentif, il regarda en haut; ses yeux alors lui indiquèrent qu'il ne s'agissait que de Twiga la girafe, dont le corps se confondait avec les jeux d'ombres et de lumières, et dont la tête dépassait le faîte du magnolier parasol. Twiga en grignotait, friande, les vertes pousses. "

Perembi cracha de nouveau, et à pas feutrés, continua sa poursuite.
Puis il stoppa. Cette fois-ci, il retint sa salive dans sa bouche, et choisit 'dans son carquois la 'flèche, la plus affilée. En tapinois, il se glissa à l'abri du gros tronc d'un baobab.
Ses doigts se refermèrent sur sa lance.  Là, sur un roc ensoleillé, reposait Chewi le léopard. Perembi fixa la flèche à son arc, et ses yeux étincelèrent quand il vit combien grande était la taille et grande la force de Chewi. Nettes, les mouchetures se détachaient sur son pelage.
- Ici, pensa Perembi, il y a un profit réel!
Il visa avec minutie. Twang! La flèche vola. Perembi rampa derrière le baobab et ressortit à l'opposé, une main tenant sa lance, l'autre, son couteau.
Il demeurait rigide, dans l'attente; mais peu à peu il se relâcha. Un sourire flotta sur son visage, car la flèche avait sûrement atteint son but, et Chewi le léopard gisait mort, ses puissants muscles convulsés.
Perembi s'avança et s'apprêta à écorcher le grand chat de la jungle. Du pouce, il tâta le fil de son couteau de chasse qu'il trouva fort tranchant. Il délibéra. couper pour qu'il y ait le moins de dommage? Tandis qu'il réfléchissait, un instinct en lui l'avertit d'un danger. Il sentit se dresser ses cheveux sur son crâne. Il agrippa sa lance, se tourna, inspectant de tous côtés.Devant lui, à moins de deux mètres, il aperçut un second léopard.
Perembi demeura impassible. Puis, son couteau jaillit dans l'air, et se planta dans l'écorce d'« imiya », le buisson épineux. Le chasseur arracha une longue bande d'écorce souple, y fit des nœuds et la lia avec précaution autour du corps de l'animal. C'était le plus petit léopard qu'il eût jamais vu. Il attacha petit-léopard à un arbre, tandis qu'il écorchait le grand léopard. Cette besogne accomplie, il souleva la bête, la passa par-dessus son épaule. Retenue par la queue pendait la peau du fauve, dont la grosse tête se balançait dans le dos de Perembi. Il prit l'écorce à laquelle était retenu petit léopard et, pareillement, le jeta sur son autre épaule; puis, parcourant la jungle, il se dirigea vers sa demeure, le contentement coulant dans ses pieds. Il songeait à la somme considérable qu'il retirerait de la vente de la belle peau tachetée. Il pensa à tout ce qu'il pourrait se procurer. Le voilà maintenant un homme riche!
Il se dit en lui-même : Grande est ma chance, et je suis, certes, un chasseur de courage et d'adresse.
Chantant son chant de victoire, Perembi parvint au village. Il y en eut beaucoup de ceux qui le complimentèrent. Les enfants criaient et riaient de saisissement et de joie. C'est alors qu'ils découvrirent le petit léopard.
- Yoh! s'exclamèrent-ils. Heeh, c'est une délicieuse créature! Regardez comme ses yeux sont doux.
De petites mains caressèrent la peau veloutée. - Yoh, conclurent-ils, ce sera notre jouet.
Le chasseur rit, et les quitta pour aller montrer aux adult.es du village la dépouille qu'il vendrait avec un fameux bénéfice. Le chef, entendant parler de sa réussite, s'approcha et le félicita. Il vanta l'habileté du chasseur. Puis il rejoignit le groupe des enfants rieurs. Brusquement, il s'arrêta et éleva sa lance.             .
- Yoh, dit-il, un petit léopard n'est pas une bête de tout repos à héberger dans un village. Prenez garde! Les petits léopards deviennent de grands léopards, et les grands léopards tuent.
Mais les enfants le supplièrent:
- Grand Chef, ne faites pas mourir notre petit léopard!
Voyez, il a de si doux yeux. Regardez comme il "mange sa bouillie dans nos mains. Ses ongles sont trop petits pour nous faire du mal, et voyez ses dents, yoh, comme elles sont mignonnes!
A son tour, le chasseur ajouta son mot.
- Grand Chef, il ne peut causer aucun mal. Il n'est qu'un si petit léopard...           -
- C'est vrai, repartit le grand chef qui, lui, était le plus adroit chasseur de toute la tribu - pourtant, il est certain que de petits léopards deviennent de grands léopards, et que les grands léopards tuent. Ecoutez la voix de la sagesse, et laissez-moi l'abattre tout de suite.
En paroles véhémentes, ils exprimèrent leur refus.
Ainsi, jour après jour, les enfants nourrirent de pâtée le petit léopard, et il grandit. Ses dents grandirent, ses griffes grandirent, ses mouchetures grandirent, mais il avait les yeux les plus tendres qu'on eût jamais vus dans la jungle. Les enfants s'amusaient avec lui, et il ne montrait nulle colère de la brusquerie des très petits gamins qui, souvent, tiraient sa queue, ses oreilles aussi. Toujours son regard était empreint de bienveillance.
Mois après mois, journellement, à l'heure du repas, ils lui donnèrent de la bouillie à manger. Ses dents poussèrent, ses ongles poussèrent, et les mouchetures de son dos s'élargirent.
Un matin, son couteau de chasse en main, le chef se rendit à la maison de Perembi le chasseur. De la «kaya» de Perembi sortit le petit léopard, déjà grandelet. Le chef recula, et brandit son couteau. Mais il y en eut là de ceux qui! s écrièrent :
- Grand Chef, remets ton couteau dans sa gaîne ! Vois, c'est notre petit léopard apprivoisé, nourri uniquement de· pâtée, aux yeux les plus tendres parmi ceux de la jungle entière. C'est une créature inoffensive, le jouet des enfants.
- Bouillie ou pas bouillie, jouet des enfants, peut-être, il n'empêche que les petits léopards deviennent de grands léopards, et que les grands léopards tuent.
-' Koh, dit en riant Perembi le chasseur, bousculant de son pied le léopard, et le grattant de son gros orteil - d'autres, bien sur, mais non ce petit léopard. Il a toujours été nourri de bouillie.
Le chef haussa les épaules.
- Tu as entendu mon sage avis. C'est dans la nature des léopards de tuer.
Mais les membres de la famille de Perembi ne prêtèrent aucune attention aux paroles du chef. Chaque jour, ils alimentaient le petit léopard. Et ses dents s'allongèrent, ses griffes s'allongèrent, son corps s'allongea, et le nombre des mouchetures se multiplia sur son dos. Ses yeux étaient doux; ils ne perdaient rien de leur tendresse, même lorsque quatre enfants chevauchaient le petit léopard et le guidaient par sa queue.
Il y en avait de ceux, au village, qui branlaient leur tête,
disant :.
- 'Y'oh, il est devenu une grande bête ! Perembi se contentait de rire.
- C'est vrai, mais il n'a été nourri que de pâtée. Il n'y a pas trace de férocité en lui.
En ces jours donc, il mangea de la bouillie en quantité, et ses dents poussèrent jusqu'à ce qu'elles fussent plus longues que celles qui pendaient autour du cou de Muganga, le docteur-sorcier. Ses griffes devinrent plus longues et plus pointues que les épines de l'arbre «attends un peu! » de la jungle. Ses mouchetures se découpaient, noires ou claires, sur la couleur dorée de son pelage. Sa longue queue se mouvait avec grâce, et ses yeux restaient les yeux les plus doux de la jungle.
Or, un matin, le cadet des enfants de la maisonnée s'éloigna sur le sentier menant au puits. Comme il courait, un rameau du buisson épineux l'atteignit et lui écorcha le genou. Une grosse goutte rouge dégoulina sur sa jambe, et de grosses larmes jaillirent des yeux du garçonnet.
Entendant son chagrin, Chewi suivit les traces du petiot.
Il tira sa longue langue rouge et lécha la jambe écorchée. Dans ses yeux qui, une seconde auparavant étaient bruns et doux, parut soudain une lueur d'acier. Sa grosse patte balaya l'air, et l'enfant, malmené par elle, roula et roula dans les ronces, trop terrorise pour crier.
Chewi le léopard se détourna de lui et s'en fut lentement à la case du chasseur. Ses muscles vigoureux ondulaient sous la peau tachetée; il rentrait et sortait ses fortes griffes acérées; ses lèvres de léopard se retroussaient sur ses fortes dents. Un premier grognement plissa sa face de léopard devenu adulte, ses yeux s'allumèrent d'un éclat froid, cruel, coupant et métallique.
A l'intérieur de sa maison, Perembi façonnait des flèches neuves, les affinant adroitement de son couteau de chasse. Dans l'ombre, il aperçut Chewi qui entrait dans la case. Il éleva la voix.
- Nenda! s'exclama-t-il, penché sur le bois dont il égalisait un nœud apparent, sauve-toi de là !
A cette seconde précise, Chewi frappa de ses dents et de ses ongles. Perembi, envahi d'une frayeur subite, hurla. Nerveusement, ses doigts se contractèrent sur son couteau de chasse, mais telle était la robustesse du petit léopard devenu un grand léopard, qu'avant que Perembi ait pu prendre trois fois son 'souffle, sa main desserra son étreinte autour du couteau tranchant.
Perembi était parti en voyage pour rejoindre ses aïeux. L'alarme se propagea alentour. Précipitamment, plusieurs se cachèrent derrière les murs de boue.
Celui qui, une fois, avait été le petit léopard, dans sa violence, sa force et son goût de meurtre, parcourait le village désert.
De sa demeure, sortie à la rencontre du léopard, parut le chef, lance au poing. Paisible, il soupira:
- Je les avais avertis ...
Alors le léopard s'élança. Le combat fut farouche et mortel. Dans ses deux mains, à ses deux pieds, à son côté, le chef fut blessé, mais le léopard s'abattit, mort.
Le chef rassembla les gens du village et dit:
- Le léopard est mort. Il n'y a rien à craindre. Mort aussi, Perembi, parce qu'il a négligé mes avertissements, à savoir, que les petits léopards deviennent de grands léopards, et que les grands léopards tuent .
.
Daudi se tourna vers ceux qui écoutaient.
- Quel était le nom du grand chef? demanda-t-il. Ceci est une double énigme. Quel était le nom du léopard? :M'gogo bondit sur ses pieds, et, dans son ardeur renversa son siège.
- Le nom du léopard était « péché », parce que les petits péchés deviennent de grands péchés, et les péchés, grands ou petits, tuent. Et le nom du grand chef était Jésus-Christ, le Fils de Dieu, car il fut blessé dans ses deux mains, à ses deux pieds, à son coté. Il mourut afin que nous soyons pardonnés.
- En vérité, confirma Daudi. Il a été meurtri à notre place, et parce qu'il fut meurtri, nous sommes libérés, et, ainsi que le dit la Bible: « Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c'est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. »
M'gogo murmura doucement - si doucement que Daudi seul l'entendit :
- Par ses meurtrissures je suis guéri.

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